« Marine, c’est moi » ou pas…

« Madame Bovary, c’est moi ».

On attribue souvent ces paroles à Gustave Flaubert. Avant l’heure de l’autofiction d’aujourd’hui, au XIXème siècle.

L’association entre un auteur et un personnage n’est pas si simple, si binaire.

Beaucoup d’enfants avaient un ami imaginaire. Moi, j’avais mes personnages. Un peu plus tard, au collège, Marine est entrée dans ma vie avec Evan.

Avec le temps, leur portrait s’est nettement étoffé. J’ai cependant conservé quelques traits.

Je retiens surtout que Marine n’a jamais eu de père dans les récits. Je n’avais pas encore décidé. Alors un jour, je l’ai tué. C’était un crève cœur quand plus tard je l’ai rencontré. Je m’en voulais énormément.

Six ans après avoir pensé l’histoire de Marine, j’ai perdu mon père.

Aujourd’hui, cela fait 10 ans que Papa est mort. Et une partie de moi avec.

Je m’interroge souvent sur mon identité face à ce traumatisme et à son influence dans le tréfonds de mes mots. Bizarre. La mort de mon père était en quelques sorte présente avant que la réalité se charge de me lire. Au pied de la lettre.

Oui, 10 années ont passées. Pour certains c’est beaucoup. D’autres le pensaient déjà lors de la première année de mon deuil. Chic.

Ma perception du temps a été altérée. Quand je me replonge dans les larmes les plus chaudes, je brûle.

Rapatriée d’Oxford, enchaînée à un siège dans les cieux, déjà, les joues en feu. Du chocolat blanc et du citron aux lèvres pour nourrir ma peine. Des miettes de biscuit dans les poches. Les embrassades humides à l’arrivée. Porter du sombre en haut et en bas, mes petites Bensimon couleur pastèque – selon l’étiquette – que j’avais tendrement nommées « Annabelle ».

Et puis les gouttes du temps que personne ne voit. Évidemment. Les paroies de mon cœur qui se raidissent de plus en plus. Me noyer dans les amours vides.

Et là, me préparer au bac. Rire avec les copines. Pleurer seule en cours de philo. La tête dans les bras. Apprendre à faire des couronnes de cheveux. Danser pour retrouver l’équilibre. Arrêter la cantine. Voir ma meilleure amie me rejoindre avec nos sandwich et nos salades. Passion jus d’abricot. On noie le chagrin comme on peut. Rencontrer Scott Joplin. Me gaver de comédies romantiques à la télé. Bouder quand ma mère l’éteint. Réviser la géographie d’Amérique du Sud sans repères. Pas foutue d’esquisser une maudite carte. Préparer un avenir radieux en m’inscrivant sur APBAC. Horreur. Rater mon examen de piano à cause de Ravel et ses oiseaux ; chez moi on en a peur. Mon premier solo sur scène arborant un costume rouge. Ma couleur préférée. Les tendinites, les blessures. L’incroyable joie à l’oral de droit où j’excelle. Facile quand on a compris que la justice n’est pas qu’une affaire de juste. Écrire pour respirer. Parler avec des personnages qui n’existent que par feuille interposée. Je me soigne avec ma propre médecine. Ça et caresser le chien de la psy dans une ville de riches.

Passer le bac.

Chaque année, le 8 août revient. Ce sera comme ça jusqu’à la fin. Avec ou sans moi. Autant m’y habituer. Un cierge à la fois.

Le bonheur dans l’enfer, c’est de partager sa peine. Une fratrie. La meilleure idée de mes parents. Qu’on ne soit pas seules à pleurer même dans la solitude.

Aujourd’hui, 10 ans que je demande à Marine comment elle survit.

« À toi de me le dire »

Victoria

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