#26 Le drapeau immobile de ceux qui survivent

Aujourd’hui je porte un bout de toi, sur ma peau, tout proche du coeur.

Je me suis enveloppé d’une étole pour contrer le souvenir qui s’efface et les larmes invisibles.

Le tissu réconforte mes sens si bien que certains ne me croiront pas. C’est très peu de choses qu’une chemise récupérée dans la poussière du sous-sol. Ça n’a pas la marque du deuil, personne ne saura ; et tout au fond de moi demeure ce chagrin de porter une tristesse quotidienne, muette et sourde au regard de quiconque d’inconnu. Tout a l’air normal que ce corps paré d’une chemise d’homme, de l’homme mort. Mon père.

On y verra que du feu et personne ne posera de questions redoutées. C’est ainsi qu’on conserve son identité d’orphelin, avec le temps, lorsque tout le monde a oublié la mort qui rôde.

J’aimerais te dire de ne pas avoir peur de cette souffrance. C’est presque un rite de passage. Certains le subissent trop tôt et d’autres bien plus tard. C’est toujours insurmontable. C’est le temps suspendu dans le drame, on n’en sortira jamais vraiment indemne, on ne redeviendra plus jamais la même. Et on vit cette vie qui ne devrait pas être. Et pourtant, on ne peut plus l’éviter et le déni n’y changera rien.

On souffre, on vit. Et on porte la souffrance comme un totem, le drapeau immobile de ceux qui survivent.

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